Blog

06 Jul 2017

Écrivain ou tailleur de pierre

Beaucoup d’écrivains se considèrent comme architecte. Architectes de leurs mondes, leurs mots sont des briques qui viennent former leurs histoires.

Moi, je préfère le métier de tailleur de pierre. Au début, il y a cette masse immense et informe d’idées en fusions qui brûle, s’amollit, s’enflamme pour une seconde et s’éteint aussitôt. C’est dans cette plaque tectonique toujours en mouvement que le mineur va y puiser sa matière, à coup de dents, à coup d’ongles.

Devant son bloc tout juste extrait et encore mou, il va commencer à tailler.

Enlever le superflu, enlever l’inutile, le redit, le détail en trop. Tailler, tailler, tailler. Parmi ces morceaux de roche-idée il y a le blond des cheveux du protagoniste, il y a la longueur de ses jambes, le pourquoi d’un évènement, beaucoup de mots utiles. Mais le tailleur de pierre ne cherche pas l’utile, il cherche le nécessaire. Alors il continue de tailler.

***

 

Stephen King conseillait aux auteurs de sélectionner le passage préféré dans leur roman et de le supprimer. Tout simplement. C’est un peu extrême, mais je suis globalement d’accord.

C’est pourquoi mes relectures se font généralement à gros coup d’effaceur. Pour m’aider je me suis posé trois règles pour déterminer si une phrase avait le droit, ou non, d’exister.

  • Est-ce que la phrase fait avancer l’intrigue ?
  • Est-ce que la phrase permet de caractériser un personnage ?
  • Est-ce que la phrase ajoute un élément d’ambiance ?

Enfin, ça, c’est la version la plus stricte. En vrai, beaucoup de phrases passent à travers les mailles et se retrouvent à trimbaler leurs sonorités inutiles et leurs précisions superficielles à travers mes textes. Juste parce qu’elles sonnent bien.

Un gars du nom de Gallishaw proposait une méthode similaire.

Mais il ne faut pas oublier que, finalement, si l’écriture c’est une grosse part de travail, de technique, de recherche et de tout un tas d’autre truc pas très marrant, il reste encore l’imagination pour apporter un peu de chaos dans tout ça. Bien souvent, les belles phrases arrivent par surprise et au mépris de toute règles.

 

06 Jul 2017

Un premier texte : Le cri

Voici le premier texte écrit dans l’univers de Nous sommes la rouille. Beaucoup d’éléments de ce récit se retrouveront dans le roman suivant. La tempête, les robots, le protagoniste féminin. Même si ce texte mériterait d’être retravaillé, je suis au final assez content du résultat. Il ne me reste plus qu’a vous souhaité bonne lecture et bienvenue dans un monde de sable, de rouille et de mouvements !

***

Les machines remontaient à pas lent la grande avenue qui menait à l’Arche. Écartant les carcasses des voitures de leurs bras mécanisés, seuls les bruits des pistons et vérins venaient rompre le silence qui régnait dans l’immense caverne. Accrochés au plafond de pierre, des rochers luminescents diffusaient une faible lumière bleutée. De fausses étoiles pour un faux ciel. Lorsqu’on portait les yeux à l’horizon, il n’y avait que de la roche, d’immenses parois qui s’étendaient à perte de vue, jusqu’à rejoindre le faux ciel. Avalés dans l’estomac de l’énorme créature pierreuse, il était facile d’oublier qu’aucun rayon de soleil n’avait touché les bâtiments de cette ville depuis bien longtemps. Partout gisaient des squelettes d’êtres humains, impitoyablement foulés par les pieds de métal des deux machines. De temps à autre, l’une s’arrêtait et dirigeait les spots lumineux accrochés aux épaules vers l’enseigne d’un des nombreux magasins en ruine qui longeait l’avenue, puis repartait presque aussitôt.

Comme réveillés par le passage des deux machines, les phares des voitures encore en état de marche s’allumaient parfois, le temps d’éclairer pendant un court instant le plastron rouge de la première armure, et celui bleu de la seconde.

Enfin arrivées près du monument, les deux armures escaladèrent les gravats pour se rapprocher de la base de l’Arche. Celle au plastron rouge dirigea ses lumières vers le haut du monument. La partie supérieure était incomplète, écrasée par le poids du plafond de la caverne. Mais malgré les fissures nettement visibles qui parcouraient les deux gigantesques pieds de l’Arche, elle avait tenu bon. Elle formait maintenant comme un gigantesque pilier, supportant le toit de pierre.

Pendant ce temps, la seconde avait décroché de son dos un étrange outil. Composé d’un grand rail aussi long que l’armure était grande, de part et d’autre étaient disposés à intervalles réguliers des cylindres en verre. L’armure enclencha un levier et le relâcha. Des mécaniques s’activèrent, une bille en fer sorti d’un long tube fixé verticalement à la base du rail et alla s’engager sur une encoche avec un bruit sec. L’arme se mit à grésiller et gronder d’un ton menaçant. L’armure assura sa prise sur son outil, fixa ses lumières vers l’extrémité de l’avenue et y pointa son arme.

Il n’y avait rien, juste le vent. Puis la tempête déferla.

Gigantesque mur de sable et de poussière noire. Quasiment solide, le mur emportait avec lui débris et carcasses de voitures comme de vulgaires fétus de paille. Les deux colosses n’eurent que le temps de planter leurs pieds au sol avant que la tempête ne vienne les frapper. Des lames de vents tranchaient les deux colosses à coup de sable et de roche laissant de profondes entailles sur leur revêtement métallique.

Vicieusement, la poussière noire amenée par le vent s’infiltrait partout dans les rouages des machines et s’attaquait sans pitié à chaque engrenage, chaque mécanique. Mais malgré cela, les armures tinrent bon, solidement plantées, elles encaissaient les assauts du monstre venteux.

Rendue furieuse par leur résistance, la tempête arracha une voiture et la projeta à toute vitesse contre l’armure bleue, mais celle-ci leva le bras à la dernière seconde et dévia le projectile. Le colosse vacilla sous le choc. Les vérins et pistons s’activèrent furieusement pour remettre d’aplomb la machine. Mais lorsqu’une seconde carcasse arriva droit sur l’armure, le bras déjà tordu dans un angle inquiétant ne put qu’amorcer son mouvement avant que les mécaniques se bloquent avec un grincement. Le pare-chocs de la voiture se fracassa contre le plastron de l’armure l’enfonçant sur plusieurs centimètres. Accusant le coup, la machine oscilla de plus belle. Les jambes raidies par leurs rouages bloqués peinaient à trouver un appui solide sur le sol, glissant sur les gravats et les débris. Finalement, une bourrasque plus puissante encore que les autres acheva de l’arracher au sol et la propulsa contre l’Arche. Le colosse percuta le pilier avec violence, le bruit de l’acier se tordant sous l’impact résonna bruyamment malgré les cris du vent. Satisfait de cette victoire, la tempête laissa retomber ses derniers projectiles, projeta ses dernières vagues de poussière. Et après un dernier rire, elle disparut complètement.

Le bras mécanique encore valide de la machine brassa l’air, du liquide noir s’écoulait à plusieurs endroits où des débris s’étaient encastrés. L’une des jambes gisait à quelques mètres du corps à moitié enseveli. L’armure eue encore un dernier soubresaut, le cliquetis des rouages se faisait de plus en plus faible, jusqu’à être inaudible, malgré le silence qui avait repris possession de l’endroit. Les lueurs dans les yeux du colosse clignotèrent un moment avant de faiblir peu à peu jusqu’à disparaître.

La voiture avait pénétré profondément dans le cockpit, ouvrant une brèche par laquelle s’écoulait en cascade du sable noir. Le bras brisé, l’esprit embrumé par les chocs, l’occupant de l’armure ne pouvait que constater avec horreur sa fin se rapprocher lentement. Un rire nerveux se mêla aux larmes qui coulaient le long de ses joues.

– Pas comme ça, murmura-t-elle, pas comme ça…

Elle cria.

track